De façon liminaire, il importe de préciser que le terme de « faillite » n’a plus court dans le langage juridique et judiciaire actuel ; cette notion a été remplacée par la périphrase « procédures collectives », dont le régime juridique a évolué, ces dernières décennies, dans le sens d’une diversification et d’une complexification. Néanmoins, le terme de « faillite », qui reste très prégnant dans l’inconscient collectif des gens, demeure couramment utilisé tant par le commun des mortels que par certains praticiens du droit : c’est la raison pour laquelle j’emploierai ici ce terme juridique désuet de « faillite ».
Quelques rappels des fondamentaux juridiques : la notion de « faillite » s’applique à des personnes de droit privé (entreprises ou, plus récemment, particuliers par le biais de la notion de surendettement). Le régime juridique des « faillites » ne peut être appliqué, par des tribunaux, que parce qu’un État, personne morale de droit public dotée de la souveraineté, existe ; il est, dans nos contrées, doté d’une organisation tripartite : Exécutif, législatif et judiciaire. Le pouvoir législatif est censé voter les lois, dont ledit régime de « faillite », qui seront ensuite appliquées par le pouvoir judiciaire (autorité judiciaire faudrait-il dire puisque l’on est toujours, au moins formellement, sous le Régime politique de la Vème République).
Dans ce contexte, il est pour le moins incongru, de parler, d’évoquer ou même de concevoir une soi-disant « faillite » des États. En effet, qui déciderait, et avec quelle légitimité, d’un régime dit de « faillite » qui devrait s’appliquer à l’État alors que sans l’existence de ce dit État aucun régime juridique ni aucune loi, du moins avec le sens que ces termes ont actuellement, ne saurait exister ni être mis en œuvre et sanctionné.
Il en résulte que, pour qu’une notion de « faillite » puisse s’appliquer à l’État, il faudrait qu’existe une organisation politique supérieure à l’État, laquelle remplirait le rôle de souveraineté politique jusque là dévolu à l’État Nation.
Une telle conception des choses est théoriquement possible, mais deux remarques s’imposent dès lors : cela ne ferait que déplacer le problème à un échelon supérieur ; un régime de « faillite » pourrait alors s’appliquer à l’État Nation mais en aucun cas à l’organe politique supérieur audit État et doté de la souveraineté. Une telle conception des choses nécessite l’existence d’une organisation politique supranationale. Or, une telle organisation, pour être viable (durable), devrait, pour le moins, être adoptée volontairement par les peuples (au moins par la majorité des personnes constituants lesdits peuples) auxquels elle prétendrait s’appliquer. Ici encore deux remarques : l’Europe pourrait théoriquement remplir un tel rôle mais absolument pas dans le contexte de l’Europe telle qu’elle résulte de la fin de la 2nde guerre mondiale. Cette Europe n’a pas été conçue comme une organisation politique souveraine mais seulement comme le moyen de mettre en œuvre un grand marché unique ; une Europe du commerce. Si l’organisation européenne actuelle a des velléités de devenir, au-delà de l’intégration économique, une véritable organisation politique au sens premier, la vérité reste que les soi-disant organes politiques dont elle tente aujourd’hui de se doter sont tout à fait dépourvus de légitimité démocratique. Au surplus, l’Europe actuelle n’a pas de souveraineté. Dans ce contexte, l’organisation européenne actuelle est disqualifiée, comme n’étant pas doté de la souveraineté, pour prétendre appliquer aux États Nations qui la compose un régime juridique de « faillite ». Dans la mesure où l’Europe telle qu’actuellement conçue est inapte, structurellement, à remplir un rôle politique supranational de souveraineté, la notion d’État Nation reste incontournable et ne permet pas de penser cet État Nation en terme de « faillite ».
En gros ou en détail, de quelque façon que l’on envisage la chose, la notion de « faillite » est incompatible avec la notion d’État souverain : un non sens juridique absolu, radical et définitif.
D’autres terminologies et d’autres conceptions sont possibles pour désigner un État trop endetté : l’État peut répudier sa dette (exemple des emprunts Russes). L’efficacité d’une telle mesure dépend de la capacité de l’État à subvenir lui-même à ses propres besoins en terme de développement, car cet État pourra alors difficilement faire appel à des financements extérieurs (décrédibilisation de la parole donnée) ; l’État peut décider de payer sa dette à des tiers, en l’occurrence des organismes bancaires (que l’on pourrait désigner du terme « d’apatrides », tant leurs organisations sont intégrées à un niveau supranational), des banques centrales, le FMI, futur FME etc. (l’imagination en ce domaine n’a semble-t-il pas encore démontré de limites). Dans ce dernier cas, le poids de la dette pèse alors exclusivement sur la population dudit État, avec une efficacité à court terme discutable lorsque la population est elle-même en voie de paupérisation, et apparaît problématique à moyen et long terme du point de vue de la cohésion sociale elle-même fondatrice de l’État en question.
En tout état de cause, la marge de manœuvre d’un État surendetté apparaît très étroite (voire même, dans certains cas, inexistante). Avant d’en arriver à l’une des deux extrémités ci-dessus décrites, l’État en question a fortement intérêt à remettre en cause ses propres modalités de fonctionnement. Mais un tel État en est-il capable ? That is de question. Ce qui renvoie à une des premières phrases du film « Gladiator » où le héros se demande si un peuple (où ses dirigeants) a vraiment la capacité de savoir ou comprendre qu’il est déjà vaincu. Et puis : avoir le sentiment que l’on est vaincu, n’est-ce pas déjà s’avouer vaincu et renoncer à un combat, que l’on pourrait finalement gagner ? Tant qu’il y a de la vie il y a de l’espoir : « N’oubliez jamais que jusqu’au jour où Dieu daignera dévoiler l’avenir à l’homme, toute la sagesse humaine sera dans ces deux mots : attendre et espérer. » (Alexandre Dumas, le Comte de Monte-Cristo).
(écrit en 2010)