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Recherches sur les origines des régimes du Droit de la médecine et du Droit de la recherche biomédicale sur l’homme - par Hélène jourdain

Le Droit de la Bioéthique en question

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TraduCTION

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Avant-propos

Merci à Hélène Jourdain pour le travail exceptionnel qu’elle a réalisé et dont la qualité n’a d’égal que son dévouement.

Hélène m’a contacté en passant par le formulaire du site après la création de Révoludroit au début de cette année 2021. Le travail qu’elle a réalisé illustre parfaitement la mission de Révoludroit : retrouver un droit au service des humains et à l’écoute du contexte naturel dans lequel l’humanité s’inscrit.

Il a été fait sur son temps libre, sans aucune contribution ni rémunération, par engagement personnel. C’est est un don de sa part à la nation et aux générations futures.

C’est la vocation de Révoludroit : agréger, organiser, stimuler et enclencher le nécessaire travail de réécriture du droit.

Ce texte bâtisseur permettra de repartir sur une juste appréciation juridique des principes fondamentaux, issus du droit naturel, qui doivent régir les domaines de la personne humaine et poser de nécessaires limites aux expérimentations de toutes sortes.

Valérie Bugault

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Domaines couverts par la notion actuelle de « Droit de la bioéthique »

En introduction de cette recherche, nous allons élucider ce que recouvre la notion de « Droit de la bioéthique ».

Analysons d’abord la notion de Droit. Le droit civil français, dont le droit de la bioéthique est réputé être une branche, est codifié en 1804. Pour Étienne Portalis, il est « un corps de lois destinées à diriger et à fixer les relations de sociabilité, de famille et d’intérêt qu’ont entre eux des hommes qui appartiennent à la même cité ».

Pour fonder ses assises, le droit civil a été adossé aux lois naturelles issues de la raison, telles que la volonté de justice ou de paix. Portalis écrivait dans le livre préliminaire du Code civil : « Il existe un droit universel et immuable, source de toutes les lois positives : il n’est que la raison naturelle en tant qu’elle gouverne tous les hommes. » Delvincourt dans ce sens : « Les lois naturelles sont celles1 que la raison éternelle, c’est à dire Dieu, à gravées dans tous les cœurs ». La notion de Droit est gravée par Dieu dans la conscience humaine. Le Droit est donc considéré comme l’une des pièces constitutives de l’ordre du monde. Enfin le doyen Ripert écrivait : « C’est parce que le Code était tout imprégné de la raison romaine et de l’idéal chrétien que l’Europe et le monde y puisèrent des règles de conduite et en firent la base même de leur ordre civil. » Demolombe, dans sa lecture de l’article 1382 du Code civil, indique que ce qui oblige à réparer, ce n’est pas la loi mais le fait d’avoir causé un dommage à autrui. Le Code est inspiré d’une philosophie basée sur le respect de la personne humaine. Le réseau des lois civiles et pénales, par un jeu de régulations collectives, était destiné à garantir, pour une bonne part, la protection de l’individu dans les différents champs de son existence, et même après sa mort.

Le terme de « Bioéthique » lui, vient de « Bio » issu de bios qui signifie vie, et du mot « éthique » issu de ethos qui signifie morale ou éthique. Inventé par le médecin américain Van Rensselaer Potter, il souligne la nécessité de maintenir le champ des expérimentations scientifiques médicales sur le terrain des valeurs morales. Dans ce sens, la bioéthique a donné et donne encore lieu à une littérature pléthorique. On peut cependant s’interroger sur les raisons d’une telle insistance morale, alors même que ce domaine est réputé être sanctionné par des règles de droit.

À cheval entre les mondes de la science « dure » et de la science politicojuridique, la bioéthique serait la matière transitionnelle qui veillerait à la bonne « socialisation » de la science, assurant qu’elle s’inscrive dans un cadre juridique et moral acceptable par le jeu de débats et réflexions pluridisciplinaires.

Dès l’origine, la jonction entre le droit et la science n’a pas été simple. Demolombe a souligné les difficultés du juge à intervenir dans le domaine médical. À la lecture de littératures juridiques du début des années 1800, on est frappé de voir comme l’institution médicale de l’époque s’opposait formellement à toute idée de poursuite d’un de leur praticien par un juge, ce dernier étant considéré comme incompétent dans le domaine scientifique. Par ailleurs, l’institution médicale estimant pratiquer un art altruiste et soumis à l’aléa de par la complexité du corps humain, refusait d’être placée sous les règles de responsabilité édictées par le Code.

Cependant, les XIXème et XXème siècles ont largement démontré que la science médicale n’incarne pas un idéal de connaissance pure et désintéressée. L’histoire nous enseigne au contraire que le savoir scientifique, en ce qu’il touche à l’essence de l’homme, comporte de façon intrinsèque une forte consonance morale, ainsi que le rappelle Hans Jonas, tout susceptible qu’il est d’avoir une incidence politique. Né de la convergence entre l’étude des « races » et le darwinisme social, l’eugénisme nazi en est une preuve éclatante. L’épistémologue Isabelle Stengers décrit parfaitement ce phénomène : « L’utopie d’une science désintéressée, et objective parce que désintéressée, est une mauvaise utopie, au service de la mobilisation [c’est une science politisée destinée à mobiliser les foules au service d’une idéologie][…] Celui qui parle « au nom de la science » parle toujours au nom du pouvoir, politique, économique ou académique » et cela même lorsque les scientifiques n’ont pas eux-mêmes conscience de la portée de leur travail. Thomas Kuhn critique à cet égard la formation des scientifiques « durs » à qui on omet bien d’enseigner tout sens critique relatif à la dimension sociale et politique potentielle de leur recherche. Il suffit donc que l’intérêt scientifique concorde avec l’intérêt politique pour que les avancées dangereuses de la science constituent une menace pour la société.

La bioéthique assure-t-elle à cet égard la mission inscrite dans son nom ? Si le domaine du Droit de la bioéthique était effectivement le siège de bonnes règles juridiques (principes d’ordre public, principes généraux du droit etc.), quel sens y aurait-il à produire ces centaines de pages annuelles de recommandations morales ? Ces pages éclairent-elles réellement le législateur d’un côté ? Et encadrent-elles vraiment la pratique biomédicale de l’autre ?

En se penchant sur les domaines que recouvre le Droit de la Bioéthique, on découvre en fait deux sous-domaines bien distincts de par leurs trajectoires : celui du Droit de la médecine et celui du Droit de la recherche biomédicale sur l’homme.

Quand le Droit de la médecine a connu un régime facilitant au fil des ans, la mise en responsabilité personnelle du médecin pris dans un contrat « intuitu personae » avec son patient, le domaine de la recherche biomédicale sur l’homme a connu au contraire, depuis le procès de Nuremberg, un déclassement progressif de ses normes – du champ juridictionnel et législatif, protégé par des principes généraux du droit, des lois d’ordre public et potentiellement sanctionné par l’engagement de la responsabilité personnelle du chercheur – vers le champ réglementaire, peu sanctionné, voire moral, et donc démuni de force contraignante. De très larges pans de ce secteur, autrefois frappés d’interdiction au titre de l’ordre public ont ainsi été « libéralisés » sous couvert d’un prétendu intérêt scientifique. Des centaines de pages de recommandations éthiques formulées par des formations pluridisciplinaires de juristes, scientifiques, hommes politiques donc, pour quel résultat ? Un nouveau projet de loi bioéthique dévoilé en 2019 qui constitue un véritable séisme dans le champ des principes fondateurs de la recherche biomédicale acceptable sur l’homme. On y assiste en effet à une remise en cause de règles d’ordre public autrefois jugées essentielles, indiquant une dérégulation massive du secteur : intensification des systèmes de sélection eugéniste des êtres humains à l’état d’embryon et de foetus jugés non conformes (DPI, Bébé médicament, IMG), possibilités toujours plus étendues de la recherche sur l’embryon humain (génération de chimères, généralisation de l’autorisation des recherches sur l’embryon, fabrication d’embryons transgéniques), déstructuration organisée des liens de parenté (PMA étendue aux demandes non médicales) ou encore encouragement de pratiques morbides (IMG tardif, euthanasie, dons de produits du corps à des fins commerciales).

Les limites du possible dans l’expérimentation, constamment repoussées, démontrent combien l’éthique, qui n’a jamais été aussi présente, sert d’alibi et de faux nez aux atteintes les plus déraisonnables qu’elle autorise contre l’homme et sa dignité. Tombé aux mains de puissants laboratoires pharmaceutiques avec la complicité des États, le champ de la recherche médicale sur l’être humain, immense manne d’argent, laisse l’individu et partant la société sans protection. Une masse informe de recommandations inutiles ont pris la place d’un minimum de bonnes lois protectrices.

Philippe Amiel constate ce glissement sourd du juridique vers l’éthique dans la lecture qui est faite aujourd’hui du Code de Nuremberg, outil élaboré suite aux atrocités commises par des médecins nazis. De nature essentiellement jurisprudentielle à l’origine (ce par quoi il faut entendre efficace sur le plan de sanctions), le « Code de Nuremberg » se voulait avant tout un outil fonctionnel de protection contre les dérives biomédicales. Un exemple frappant : il exigeait que le consentement soit un état de fait. Or, par un jeu de dénaturations successives, ce texte a progressivement été transformé en simple outil de déontologie. C’est ainsi que le CCNE peut affirmer aujourd’hui que selon le Code de Nuremberg, il s’agit pour le médecin « d’obtenir le consentement ». Il n’est plus question d’un fait objectif, mais d’une simple maxime d’action subjective du médecin expérimentateur.

Ce même mécanisme de glissement de la sphère juridique vers la sphère morale est notable en droit français. Les lois de bioéthique de 1994 ont inscrit les articles 16 et suivants dans le Code civil. Or l’édification de textes dédiés à la protection du corps n’a pas eu pour conséquence, comme on pourrait le penser, une amélioration effective de la protection des droits proclamés. Tous les principes énoncés dans le chapitre intitulé « Du respect du corps humain » avaient en fait la valeur de principes généraux du droit, donc une valeur supralégislative. Leur intégration dans le Code civil est donc, au plan de la hiérarchie des normes, un déclassement, qui a eu pour effet de permettre plus facilement d’y déroger. On a pu dire que leur intégration dans le Code civil a été réalisée dans l’intention politique de rendre possible un certain nombre de pratiques médicales.

On constate en effet que les articles 16 et suivants du Code civil proclamant le devoir de respect de la dignité humaine ont été renvoyés, lois après lois, à l’état de vœux pieux par toute une série d’exceptions insérées dans le Code de la Santé Publique. Le régime jurisprudentiel élaboré sur un temps long et préexistant à la loi apparaissait donc comme beaucoup plus protecteur.

En somme, le terme de Bioéthique trouble la compréhension de la matière qu’elle recouvre en rapprochant deux domaines, le Droit médical et le Droit de la recherche biomédicale, qui méritent pourtant une analyse distincte. Par ailleurs, si les débats et réflexions éthiques sont nécessaires à l’élaboration d’une bonne loi, la littérature et les débats bioéthiques actuels détournent l’attention du citoyen du véritable mouvement de dérégulation des normes juridiques encadrant aujourd’hui la recherche. Ils dissimulent également, l’habillant d’une fausse morale, la trajectoire empruntée par la recherche biomédicale sur l’homme, qui met à bas tous les principes protecteurs acquis à l’occasion du procès de Nuremberg. Les mots servent ici à tromper. Ils disent le contraire de ce qui est.

Nous remonterons donc dans le temps pour comprendre la construction du régime du Droit des sciences expérimentales sur l’homme, nées dans les faits, de la révolution scientifique du XIXème siècle (I) pour ensuite étudier les origines et l’évolution du Droit de la médecine, domaine moins mouvementé et aux origines plus anciennes (II).

I) Droit de la recherche biomédicale sur l’homme

À l’origine, les domaines de la médecine et de l’expérimentation n’étaient pas séparés. Mais avec les progrès spectaculaires de la médecine expérimentale au XIXème siècle, le divorce a été consommé entre la médecine, à vocation curative et encadrée par un contrat « intuitu personae », et la recherche scientifique friande de sujets pour ses expérimentations.

La médecine est passée de l’expérience traditionnelle centrée sur le patient et qui procède par analogie grâce à l’analyse clinique, à l’expérimentation moderne axée sur l’étude de la maladie et de ses lois de causalité. Quand la médecine classique agit dans le cadre thérapeutique et dans l’intérêt premier du patient conformément au serment d’Hippocrate, la science médicale, elle, n’hésite pas à sacrifier des individus pour fonder ses théories. C’est ainsi que pour établir l’étiologie de certaines maladies, elle les a inoculées à des corps sains d’esclaves ou d’orphelins. Ce fut le cas de la variole. Diderot, Bentham et Mill furent des philosophes des lumières qui ont théorisé la justification de ces expérimentations. Cette époque voit aussi la naissance des sciences statistiques avec le britannique Louis, qui amène un bouleversement des méthodes. La preuve par comptage des cas l’emporte désormais sur l’analyse clinique. Par ailleurs, la méthode des essais randomisés contrôlés exige le sacrifice d’un groupe de malades ne recevant qu’un traitement courant ou une illusion de traitement : le placebo.

Le serment d’Hippocrate voulant que le médecin soit utile ou du moins ne nuise pas n’est dès lors plus respecté au sein de cette nouvelle communauté de médecins scientifiques qui ne recule pas devant le sacrifice de l’individu au profit supposé du groupe, et cela aussi bien par action (inoculation), que par inaction (placébo).

Grégoire Chamayou nomme les « corps vils », ceux des orphelins, des prisonniers, des condamnés à mort, des malades mentaux ou encore de populations colonisées, qu’on a utilisés pour faire progresser la science médicale expérimentale.

À ce sujet, l’histoire de la médecine n’est pas homogène. Les médecins étaient partagés face à ces nouveaux champs d’expérimentation. Deux positions se sont dégagées, l’une incarnant la tentation du progrès scientifique en violation du serment d’Hippocrate (le médecin doit toujours agir dans l’intérêt de son patient et en faveur de la vie), l’autre, prenant le contre-pied de cette évolution, plaçant l’homme au-dessus de la science.

Pour Bongrand, jeune médecin chercheur soutenant sa thèse de médecine « De l’expérimentation chez l’homme » en 1905, les expériences sur l’homme sont une pratique immorale parce qu’elles sacrifient l’individu à la société.

Le savant qui expérimente sur l’un de ses semblables met potentiellement sa vie en danger. Par conséquent, le droit, dont le rôle est de protéger l’individu, saurait-il l’autoriser ?

Du point de vue du droit, les recherches médicales existaient avant que la loi ne s’y intéresse. Le Code civil, tout comme le Code pénal ont longtemps ignoré ces expérimentations, aucune disposition ne protégeant spécifiquement les atteintes au corps humain. (Aucune loi n’a d’ailleurs autorisé ces expérimentations médicales sur l’homme avant 1988).

Ce sont les juges qui ont eu à juger de la responsabilité des médecins et chercheurs avant que des règles spéciales ne soient édifiées. En effet, les législateurs des codes de 1800 ont consacré le rôle éminent des juges dans leur obligation de dire le droit, même dans le silence de la loi.

Bongrand rapporte les détails d’un procès en responsabilité pénale du tribunal de Lyon les 8 et 15 décembre 1859, dans lequel deux médecins sont jugés pour avoir inoculé la syphilis à un enfant de 10 ans atteint de la teigne. Le tribunal a jugé que cette inoculation n’avait pas pour but de traiter spécialement la teigne mais d’expérimenter, sans utilité pour le patient, la transmission de la maladie à la période secondaire.

Ceux-ci ont soutenu qu’ils n’avaient eu qu’un but : guérir la teigne par la syphilisation. Qu’ils avaient agi se sachant autorisés par des autorités dans le domaine.

Et pour leur défense, ils ont soutenu que les faits incriminés ne tombaient par sous l’application de la loi pénale ; que l’inoculation n’avait pas un but purement expérimental mais qu’il avait principalement pour mobile la guérison du patient, la réponse que cela apporterait aux recherches menées étant accessoires ; enfin qu’ils n’avaient nullement eu l’intention de nuire et que dès lors le délit ne saurait être constitué.

En réponse au premier moyen, les juges ont d’abord visé l’article 311 du Code pénal pour faire tomber les faits sous le coup de la loi (toute lésion ayant pour résultat d’intéresser le corps ou la santé d’un individu). En deuxième moyen, ils affirment que « les droits du médecin et ses obligations envers la science ont des limites ; ses droits il les tire de son dévouement envers ses semblables et de son ardent désir de les soulager ; que ses obligations envers la science doivent s’arrêter devant le respect dû au malade ; qu’il suit de là que toutes les fois que, dans l’application d’une méthode curative nouvelle, le médecin aura eu essentiellement pour but la guérison du malade, et non le dessein d’expérimenter, il ne relèvera que de sa conscience, et que, dans ce cas, si la médication, thérapeutique par son but, amène par son résultat une découverte scientifique, il jouira légitimement de la considération et de la gloire qui s’attachent à son nom ; que tout dans la cause démontre que leur pensée dominante, leur but principal, a été de résoudre, au moyen d’une expérience, la question médicale qui faisait le sujet de vives controverses. »

Sur le troisième moyen : pour qu’il y ait délit, il n’est pas nécessaire que l’auteur ait eu le dessein caractérisé et déterminé danger méchamment, par haine ou par vengeance, mais qu’il suffit qu’il ait agi en connaissance de cause et avec l’intention de satisfaire, au risque de nuire, soit l’intérêt de sa renommée, soit même une passion purement scientifique et désintéressée ; que le risque de nuire existait en l’espèce.

Et de conclure que les faits sont d’autant plus répréhensibles qu’ils se sont accomplis sur un enfant incapable de tout consentement libre, confié à la charité publique et aux soins des prévenus. Que les faits constituant un délit de blessures volontaires fondent leur condamnation à une amende de… »

À la question peut-il y avoir un contrat entre l’expérimentateur et son sujet qui porte sur l’expérimentation ?

L’article 6 du Code pénal énonce : « On ne peut déroger par des conventions particulières aux lois intéressant l’ordre public et les bonnes mœurs. »

D’autre part, seuls les objets se trouvant dans le commerce peuvent faire l’objet de contrats (Code civil, art. 1128). Et la santé d’un individu ne saurait être un objet d’échange. L’avocat général Mawwell considère que la résistance d’un homme à la maladie peut être rattaché à son droit de légitime défense, ce droit ne pouvant être volontairement aliéné.

On trouve aussi des dispositions plus spécifiques du Code civil indiquant qu’ « un individu ne peut disposer par contrat de sa liberté pour un temps indéfini. » (art 1780). Au regard de cette loi, il ne peut à fortiori pas disposer de sa santé.

Également l’article 1109 ne reconnaît pas la validité d’un contrat par lequel un individu s’est engagé sans savoir à quoi il s’exposait : « Il n’y a point de consentement valable si le consentement n’a été donné que par erreur. »

Pour justifier l’engagement de la responsabilité civile du médecin, Demolombe cite un arrêt de la Cour de Cassation du 21 juillet 1862 dont il juge les motifs excellents et emblématiques : « Vu les articles 1382 et 1383 du Code Napoléon ; Attendu que ces articles contiennent une règle générale, celle de l’imputabilité des fautes, et de la nécessité de réparer le dommage causé, non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence ; Que toute personne, qu’elle que soit sa situation ou sa profession [en tant qu’homme], est soumise à cette règle qui ne comporte d’exceptions que celles qui sont nominativement formulées par la loi. Si aucune exception de cette nature n’existe au profit des médecins soit dans les lois de Droit commun, soit dans la loi du 19 ventôse an XI, qui est le Code de leur institution ; Que sans doute il est de la sagesse du juge de ne pas s’ingérer témérairement dans l’examen des théories ou des méthodes médicales ; mais qu’il est des règles générales de bon sens et de prudence, auxquelles on doit se conformer, avant tout, dans l’exercice de chaque profession, et que, sous ce rapport, les médecins restent soumis au Droit commun, comme tous les autres citoyens ; Que la responsabilité s’applique également aux faits purement médicaux [auparavant soumis à un régime d’irresponsabilité du fait de l’aléa thérapeutique], et que l’on ne saurait, à cet égard, décliner, d’une manière absolue, la compétence des tribunaux par le motif qu’ils s’ingèreraient dans l’examen de questions qui sont du domaine exclusif de la science ; mais que, en pareil cas, le médecin ne peut être tenu que d’une faute lourde, s’accusant par des faits palpables et évidents, constituant, en soi, l’oubli des règles générales de bon sens et de prudence, qui sont hors de discussion… ».

La référence faite au bon sens et à la prudence montre les valeurs qui soustendent toute conduite humaine selon l’idéologie des juges et législateurs de l’époque. Charles Demolombe parle de la loi naturelle et de ses maximes immuables (Hobbes appelle loi de nature un ensemble de contraintes qui sont commandées par la raison pour assurer à l’homme sa bonne conservation). Ce n’est donc pas la loi civile qui oblige mais la loi naturelle sous-jacente dictée par la raison qui veut qu’on réponde de sa faute et qu’on répare le dommage ainsi causé (vision opposée au positivisme dans lequel on obéit à la loi en vigueur votée par le parlement, sans référence externe à la morale). La loi spéciale liée

aux affaires médicales n’ayant pas édicté positivement la responsabilité du médecin n’implique pas que ce dernier soit exclu du Droit commun de la responsabilité au titre de l’équité et de la bonne foi. Ce raisonnement visant à adosser la loi civile sur la loi naturelle a pu être jugé opportuniste par certains interprètes de l’esprit du Code civil. Cette référence à la loi naturelle aurait permis à Napoléon de s’assurer le respect des règles par la population, sans pour autant les faire paraître émaner du gouvernement (l’autorité de cette « première main » pour gouverner était en effet mal vue par les rédacteurs du code suite à l’expérience de gouvernement Jacobin sanguinaire et autoritaire). Si les règles du Code civil se fondaient sur les lois de la nature présumant une raison partagée (gouvernance par une seconde main incarnée dans la figure du « bon père de famille »), elles seraient plus facilement acceptées. Ce en quoi Napoléon avait raison.

À ceux qui ont pu voir dans le Code civil une incarnation d’idéaux libéraux et volontaristes inspirés de Rousseau, la conception sous-jacente de l’homme semble y être moins optimiste, les intentions présidant à l’élaboration du Code paraissant plutôt avoir été de gouverner de façon pérenne et d’assurer la paix civile et le commerce au sein d’une société civile faite d’individus régis par leurs passions mais que l’on peut diriger grâce aux intérêts qu’ils poursuivent.

Demolombe s’interroge ensuite si on ne devrait pas soumettre à cette même action en responsabilité civile le médecin qui aurait fait des « essais périlleux sur le malade ». Répondant par l’affirmative, il cite ainsi M. maxime Lecomte : « Le médecin n’a pas, d’une façon absolue, le droit de faire des expériences ; il doit toujours être guidé par la pensée de soulager ou de sauver son malade. » Entreprendre sur lui, continue Demolombe, une expérience nouvelle et dangereuse, par simple amour de l’art, par pure curiosité scientifique afin de se rendre compte de l’effet pour son instruction personnelle, il ne le doit pas. En vain il soutiendrait que le cas était désespéré, et la fatale issue inévitable. Du moins alors, devrait-il avant de rien entreprendre, consulter le malade lui-même et ses proches, et obtenir leur assentiment.

Cependant, l’insuccès du traitement ne saurait devenir une cause de responsabilité civile.

Toutefois, on pourrait, étant donné le consentement du sujet, considérer peut-être qu’il y a eu suicide aidé.

Une distinction devait être faite entre le cas du médecin qui expérimente sur lui-même (pratique autorisée) et celui qui expérimente sur autrui.

En cas d’expérimentation sur autrui, le sujet se devait d’être prévenu et consentant. Pour qu’il y ait consentement, le juge tient compte de la capacité du sujet à consentir (âge, maladie mentale, pressions exercées, effets de suggestion si l’expérimentateur est le médecin du sujet, ce fait constituant une circonstance aggravante). A fortiori, un contrat liant un expérimentateur à un condamné à mort apparaît plus immoral que jamais, l’état de sujétion dans lequel se trouvant le condamné constituant une pression altérant son libre arbitre.

Ces cas d’espèces emblématiques forment avec d’autres une jurisprudence cohérente au cours des XIXème et début du XXème siècle sur le sujet, nous enseignant une vision du corps-sujet dans laquelle survivent les principes hippocratiques, à savoir :

  1. La recherche doit être d’abord entreprise dans l’intérêt thérapeutique du patient (ce doit en être le moteur principal). C’est la primauté de la personne humaine sur la science.
  1. Un protocole scientifique doit révéler le sérieux et la conscience professionnelle de l’expérimentateur, ceci afin d’éviter d’exposer la personne à des risques inconsidérés.
  1. Le consentement éclairé du sujet à la recherche est une condition nécessaire à la légalité de l’expérimentation.

Ces principes constituants de la dignité humaine ont été rappelés dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon le 27 juin 1913.

Le droit a pourtant connu une face sombre en autorisant le sacrifice d’individus exclus tout au long du XIXe siècle. Est-ce par le mécanisme de « mort civile » que le droit a pu autoriser les expérimentations non consenties sur des êtres humains, au titre de leur exclusion de la « bonne » humanité ? Certains membres autorisés de l’Eglise du début du XXème siècle semblaient aussi avoir considéré la soumission de certains criminels aux expérimentations scientifiques comme une chance de rachat de leur faute morale, accomplissant un acte utile pour la société comme pourraient l’être des travaux d’intérêts généraux.

On pourrait s’interroger sur les raisons qui ont conduit la science à disposer si naturellement de ces personnes non consentantes sans plus de cas de conscience ? >>> Analyse sociologique de Marx : l’exploitation des plus faibles a été une constante au fil des siècles.

Mais il a fallu attendre les atrocités de la Seconde guerre mondiale pour qu’un sursaut ait lieu au sujet de la nécessité de borner la recherche biomédicale sur l’homme.

Au cours du procès des médecins de Nuremberg, l’accusation a mis en évidence la dimension particulièrement atroce des expérimentations médicales entreprises sur des êtres humains dans les camps de concentration et d’extermination par des médecins allemands.

Depuis des siècles, de nombreuses expériences humaines avaient été réalisées sans le consentement des personnes : mais jamais elles n’avaient atteint un tel degré dans l’horreur. C’est ce qui a conduit à une véritable prise de conscience du Ministère Public sur les dangers du développement de la recherche médicale et sur la nécessité d’un encadrement juridique strict des expérimentations humaines, avec l’élaboration de dix règles, qui ont pris par la suite le nom de Code de Nuremberg.

Aujourd’hui, le champ de la recherche médicale sur l’homme est notamment réglementé par des outils bassement éthiques ou déontologiques comme la déclaration d’Helsinki ou la déclaration de Genève, des textes chargés de recommandations sans valeurs juridiques contraignantes, quand les lois des pays deviennent de plus en plus permissives en matière de recherche.

II) Droit de la médecine

Le droit de la médecine est beaucoup plus ancien et ses premiers régimes remontent à l’Antiquité. Les premiers principes de responsabilité médicale sont énoncés par Hippocrate au V siècle avant JC. Si le médecin avait des devoirs, il ne pouvait pas être tenu responsable des erreurs commises dans l’exercice de son art.

Toute responsabilité suppose un fait générateur en lien avec le dommage. La difficulté d’établir la responsabilité des médecins tient au fait que ces deux éléments doivent être appréciés en tenant compte de l’extrême complexité de l’organisme humain et de sa fragilité, toute intervention en vue d’améliorer la santé de l’être humain étant entachée d’une part d’aléa. C’est pourquoi l’établissement du fait générateur de la responsabilité d’un acteur de santé requiert beaucoup de précautions tandis que la causalité, quant à elle, est moins certaine qu’ailleurs, puisque la santé n’est que le résultat d’un équilibre précaire.

Aussi la faute médicale, fût-elle établie, n’est-elle pas nécessairement à l’origine du dommage. En tant qu’exerçant une profession altruiste, l’équité voudrait que les professionnels de santé ne puissent engager leur responsabilité que pour faute. En effet, outre le fait que le résultat de la prestation médicale est soumis à une part irréductible d’aléa, la responsabilité sans faute est historiquement destinée à tous ceux qui génèrent des risques pour autrui afin d’en retirer un profit (les industriels) ou un simple intérêt.

Cependant, à la question « Ceux qui pratiquent l’art de guérir sont-ils responsables sur le plan civil des fautes, de la négligence, de l’impéritie ou des erreurs commises dans l’exercice de leur profession ? »

Le droit romain répond oui (Insitutes de Justinien, Livre IV, titre III, De lege Aquilia).

Au contraire, dans notre ancien droit français, les auteurs semblaient plutôt favorables à l’irresponsabilité des médecins, exception faite du cas de dol (délit qualifié). En cas de quasi-délit, l’impéritie ne constituait pas une faute. (Parlement de Paris 1696 : « Les chirurgiens ne sont pas responsables de leurs remèdes, tant qu’il n’y a que de l’ignorance ou de l’impéritie de leur part. ») Mais certaines espèces ont tout de même pu retenir la responsabilité civile des médecins, principalement dans des cas d’opérations où la relation de cause a effet était plus facile à établir.

En effet, l’argument alors principal en faveur de l’irresponsabilité des médecins est la grande difficulté à établir une causalité certaine entre le remède et le mal du patient. Les faits incertains et inappréciables ne sauraient établir la responsabilité civile ou à une action en dommage et intérêts.

Cependant, on ne saurait admettre une irresponsabilité civile.

On a pu considérer que l’apparition de la responsabilité dans les systèmes juridiques était une réponse à l’affaiblissement du rôle de la religion dans les sociétés, le système juridique s’imposant comme régulateur des relations humaines en lieu et place de la religion. Vu autrement, on peut l’entendre comme le résultat d’une lutte pour le pouvoir entre le politique et l’Eglise.

Demolombe, dans son cours du Code Napoléon de 1884, interprète les différentes sources juridiques et déploie un raisonnement précis à ce sujet, appuyé sur la jurisprudence de l’époque. C’est à ce moment que prend naissance un véritable régime de la responsabilité des médecins. La première affaire est celle du médecin Hélie condamné en 1832 pour faute puis négligence envers son jeune patient.

Cependant, comment expliquer que la loi spéciale du 29 Vendôse an XI relative l’exercice de la médecine soit restée silencieuse en ce qui concerne la responsabilité médicale ? Parce qu’elle s’est référée aux principes généraux du Droit civil.

Dans l’arrêt THOURET-NAUROY précité rendu le 18 juin 1835 par la chambre des requêtes de la Cour de cassation, est reproché à un médecin d’avoir non pas tant fait une mauvaise opération, que d’avoir à dessein dissimulé un accident, négligé le traitement ultérieur, et enfin abandonné son malade. Pour le condamner, les magistrats se sont fondés sur les articles généraux 1382 et 1383 qui comprennent tous les faits de l’homme, qui constituent une faute, une négligence, une imprudence, causant un dommage à autrui. C’est donc l’homme derrière le médecin qui est jugé ici.

Comment répondre à l’objection du lien de causalité entre fait générateur et dommage ?

Le 21 juillet 1862, la Cour de Cassation affirme ainsi : « Vu les articles 1382 et 1383 du Code Napoléon ; Attendu que ces articles contiennent une règle générale, celle de l’imputabilité des fautes, et de la nécessité de réparer le dommage, que l’on a causé non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou son imprudence. Que toute personne, quelle que soit sa situation ou sa profession est soumise à cette règle qui ne comporte d’exceptions que celles qui sont nominativement citées par la loi. Qu’aucune exception de cette nature n’existe au profit des médecins. Qu’il est de la sagesse du juge de ne pas s’intégrer témérairement dans examen des théories et méthodes médicales mais de faire appliquer les règles générales de bon sens et de prudence auxquelles toutes les professions doivent se conformer, médecins compris, soumis au droit commun comme tous les autres citoyens. »

Le régime de la responsabilité médicale n’a ensuite eu de cesse de s’assouplir.

Par un arrêt de pure opportunité, la CCass consacre en 1936 la nature « contractuelle » de la relation médicale en lieu et place d’une relation initialement délictuelle. « Le médecin engage sa responsabilité s’il ne prodigue pas des soins consciencieux, attentifs et, réserve faite de circonstances exceptionnelles, conformes aux données de la science. » Les progrès de la médecine font germer l’idée selon laquelle l’homme peut contrôler son bien-être et l’améliorer. Un sentiment de sécurité se construit autour de l’acte médical. Et si la médecine n’est pas considérée comme une science exacte, le médecin doit faire son possible pour traiter son patient dans les meilleures conditions.

Par l’arrêt clinique Saint Croix du 6 mars 1945 : « La responsabilité des médecins et établissements de santé a un fondement contractuel ; les soins donnés, en exécution des contrats conclus avec le patient, devant être attentifs consciencieux et conformes aux données acquises par la science. »

La loi de 2002 précise ces obligations, les étendent à tous les praticiens de soins et fixe la prescription de l’action en responsabilité à 10 ans à compter de la consolidation du dommage.

  1. Les professionnels de santé : tenus à une obligation de moyen et responsables qu’en cas de faute. Nature contractuelle de la faute : le patient doit avoir subit un préjudice et établir un lien de causalité direct et certain entre cette faute et le préjudice subi. Lorsque l’aléa thérapeutique est qualifié : régime de réparation par commissions régionales (Civ.1ère, 8 novembre 2000)
  2. La faute est soit un manquement aux devoirs généraux (non recueil du consentement hors urgence ou absence de diligence suffisante), soit une faute technique dans la mise en œuvre des soins. Le contrat entre médecin et patient conclu « intuitu personae » l’oblige à assurer lui-même les soins et le suivi de ce dernier. Il en garde toujours la responsabilité personnelle.
  3. L’obligation d’information du médecin est affirmée par la loi de 2002. La cour de casassions a délimité l’étendue de l’information qui doit être claire, loyale et appropriée sur les risques graves afférents aux investigations et soins proposés.

Le principe de protection est aujourd’hui étendu aux risques que rencontre le patient justifiant une mise en responsabilité sans faute du médecin en cas d’infections nosocomiales, d’aléa thérapeutique et de défaut de produits de santé, des exceptions instituées par la loi de 2002. La réparation est alors assurée par un mécanisme de solidarité nationale.


Auteur : Hélène JOURDAIN

Projet : Révoludroit

Sujet : Droit de la médecine et Droit de la recherche biomédicale sur l’homme


Bibliographie :

  • AllianceVita, Dossier sur la loi bioéthique 2019/2020
  • Philippe Amiel, François Vialla, La vérité perdue du ”code de Nuremberg”: réception et déformations du ”code de Nuremberg” en France, juillet 2013
  • Bigot-Préameneu, Discours devant le corps-législatif à l’occasion de la nouvelle édition du Code, 1807
  • Jean-René Binet, Manuel de droit de la Bioéthique, 2017
  • Pierre-Charles Bongrand, L’expérimentation sur l’homme, thèse republiée par Anne Fagot-Largeault et Philippe Amiel, 2011
  • Grégoire Chamayou, Les corps vils. Expérimenter sur les etres humains aux XVIIIe et XIXe siècles, 2008
  • Charles Demolombe, Cours de Code Napoléon, Traité des contrats numéro 540, 1882
  • Charles Giraud, Précis de l’ancien droit coutumier français, 1851
  • Caroline Kamkar, « Les limites de la faute : essai sur la détermination de l’obligation de moyen en matière médicale », thèse de doctorat en droit, 2006
  • Alexandre Klein, « Du corps médical au corps du sujet : étude historique et philosophique du problème de la subjectivité dans la médecine française moderne et contemporaine », Thèse pour le doctorat en philosophie et en histoire des sciences, 2012
  • Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Droit des personnes – La protection des mineurs et des majeurs, 11ème édition
  • Jean-Francois Niort, Retour sur « l’esprit » du Code civil des Français, in Histoire de la justice, 2009
  • Dr Peton, Historique de la responsabilité médicale, 2006
  • Étienne Portalis, Discours préliminaire du premier projet de Code civil, 1801
  • Jacques Prévault, Le Code Napoléon : ses fondements philosophiques et sonrayonnement dans le monde, 1985
  • Isabelle Stengers, La raison dans les sciences, fiction et mobilisation, 1990
  • Daniel Wallach, Les inoculation dans l’histoire des maladies vénériennes, conférence, avril 2001
  • Revue médicale française et étrangère – Journal des procès de la médecine hippocratique, motifs et réquisitions dans l’affaire Thouret-Noroy, par Mrs Bayle, Cayol, Gibert et Martinet, tome 3, 1835