LA GUERRE DU DROIT et LA HIERARCHIE DES NORMES
Valérie Bugault
Deux conceptions opposées de la hiérarchie des normes s'affrontent en France depuis plus de deux siècles – comme je l'explique longuement dans mes textes et vidéos.
1. La hiérarchie des normes fondée sur les grands principes du droit : le modèle du Code civil de 1804
Lors de sa création, le Code civil respectait une hiérarchie des normes structurée autour de grands principes tirés du droit naturel.
Dans cette conception, la norme supérieure n'est pas celle qui émane d'un organe particulier, mais celle qui respecte la finalité du droit, laquelle est ancrée dans l'ordre naturel des choses et dans les exigences de justice.
Ce modèle prolonge la longue tradition française du droit :
~ Codification, ~ Recherche de cohérence, ~ Primauté du droit naturel, ~ Prééminence de la finalité sur la technique juridique.
Les juristes de 1804 – quoi qu'on en dise – étaient formés à cette culture. Ils voyaient dans les règles non des instruments techniques, mais des véhicules de la finalité juridique. La finalité ultime du droit était la recherche de paix publique, laquelle passait par la quête de vérité, de responsabilité, de causalité et d'équilibre. Les règles édictées étaient peu nombreuses et dépourvues de contradiction. Les lois étaient les mêmes pour tous et recherchaient l'équilibres.
2. La hiérarchie formelle imposée par la Constitution et le parlementarisme
La Constitution française, dès son origine, a introduit un changement silencieux dans la hiérarchie des normes.
Elle impose un principe formel : une norme est supérieure non pas parce qu'elle est plus juste, mais parce qu'elle émane d'un organe considéré comme légitime pour l'édicter.
Cette hiérarchie est aujourd'hui celle enseignée dans toutes les facultés de droit :
- La Constitution,
- Les lois votées par le Parlement,
- Les décrets et règlements.
Ces deux conceptions – l'une principielle, l'autre formelle – ont longtemps cohabité, créant une confusion généralisée dans la doctrine juridique française.
Depuis l'avènement hégémonique de la théorie pure du droit d'Hans Kelsen, c'est aujourd'hui la hiérarchie strictement formelle qui prévaut.
Le principe de la codification a ainsi laissé place à la compilation (modèle britannique) de textes toujours plus nombreux, contradictoires, parfois même obsolètes…
La réponse à la question posée par cette vidéo : https://youtu.be/oiW0NRQq3fk?si=-GogOmdtweCIuQ-1 est donc la suivante :
Pour le plus grand malheur des Français, la Constitution est aujourd'hui indiscutablement (en raison du positivisme radical et de la hiérarchie formelle des normes actuellement en vigueur) formellement supérieure au Code civil – quand bien même ce dernier portait historiquement une philosophie juridique beaucoup plus structurée, cohérente et porteuse de paix sociale.
3. Héritage de la Révolution française : une dualité jamais résolue
Nous retrouvons ici une ambiguïté fondamentale née de la Révolution de 1789, où deux factions s'opposaient :
- Les Montagnards, dont une partie fut manipulée par les intérêts britanniques ;
- Les Girondins, eux-mêmes traversés par une tension entre patriotes sincères et individus influencés par la finance londonienne.
Avec le recul, il apparaît que les gagnants furent les Montagnards – plus précisément, leur faction alignée sur les intérêts de l'Empire britannique.
Cette dualité politique s'est juridiquement incarnée dans deux créations radicalement contradictoires :
- Le Code civil de 1804, œuvre de grands juristes, fondée sur la longue tradition juridique française, le droit naturel, la prise en compte de la finalité du droit et la codification.
- Le parlementarisme, produit exogène, imposé sous influence britannique, fondé sur une hiérarchie purement formelle des normes et sur l'instrumentalisation du législateur par des intérêts financiers anonymes.
Le Code civil incarnait le réalisme politique, la recherche de la paix sociale et la continuité du droit continental.
Le parlementarisme importait en France la logique du droit britannique de l'Amirauté : nominalisme, positivisme et primauté de la technique au service d'intérêts supérieurs apatrides.
4. Le triomphe du positivisme : une défaite civilisationnelle
Le droit issu du régime parlementaire est structurellement mis au service des grands argentiers, et non de la population, il se concrétise par le règne des lobbies. Il se déploie dans un désordre positiviste, pour lequel seule importe la validité formelle de la règle, indépendamment de sa justice ou de sa finalité. Le positivisme juridique suppose que seule la technique juridique à mettre en œuvre intéresse le juriste, devenu ouvrier spécialisé du droit.
Le positivisme est, par essence, antagoniste du droit naturel. Il est le fruit direct de la philosophie nominaliste, c'est-à-dire d'une vision du droit détachée du réel, de la vérité et de la finalité.
Ainsi, la guerre du droit a été perdue par la France lorsque son modèle continental – fondé sur :
- Le réalisme politique,
- Le droit naturel comme sommet de la hiérarchie des normes,
- La codification comme garantie de cohérence –
a été subverti par les influences de l'Empire britannique.
Les juristes français, autrefois gardiens des finalités du droit, ont été réduits au rang d'ouvriers spécialisés, obsédés par les moyens, les techniques, à mettre en œuvre plutôt que par les finalités des règles ; des professionnels qui acceptent de savoir « tout sur rien », bientôt utilement et définitivement remplacés par l'intelligence artificielle.
5. Conclusion : une défaite collective – et un appel au sursaut
Nous avons collectivement perdu la guerre du droit, et nous en subissons aujourd'hui toutes les conséquences : désordre juridique, perte de souveraineté, domination des intérêts financiers, dissolution des principes fondateurs de la justice, organisation de la conflictualité sociale.
Sans un sursaut civilisationnel fondé sur un changement de paradigme, tel que celui présenté dans le projet Révoludroit, notre destin se réduira à :
- ~ disparaître,
- ~ et, pour les survivants, accepter l'état d'esclaves éternels des dominants économiques.