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Colloque 20221129 – Roland Sanviti – Réforme de l’entreprise capitalistique

Au cours d’un récent colloque, Valérie Bugault a évoqué une page d’histoire, celle de la création de l’école libre des sciences politiques, en 1872, c’est-à-dire deux ans après la défaite de la France dans sa guerre contre la Prusse.

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La dimension criminelle de la finance

Au cours d’un récent colloque, Valérie Bugault a évoqué une page d’histoire, celle de la création de l’école libre des sciences politiques, en 1872, c’est-à-dire deux ans après la défaite de la France dans sa guerre contre la Prusse.

Tous ceux qui ont été à l’initiative de la création de cette école avaient souhaité tirer la leçon de cette défaite et par conséquent enseigner à la jeune génération les causes profondes, aussi bien morales que politiques, qui avaient conduit la France à subir un tel désastre.

Après la défaite de l’Europe et surtout de la France au XXe siècle puisque les véritables vainqueurs de la seconde guerre mondiale n’ont pas toujours affiché de façon aussi ostensible les moyens de cette nouvelle guerre de conquête à laquelle ils allaient avoir recours, c’est pourquoi aujourd’hui il est important qu’une école ait pour mission de tirer la leçon de cette défaite et d’enseigner à la jeune génération du XXIe siècle les mêmes raisons, aussi bien morales que politiques qui ont conduit à ce même désastre.

I. Qui commande dans le monde ?

Sans doute faudrait-il commencer par rappeler qu’Ortega y Gasset en 1929 s’interrogeait dans son ouvrage La révolte des masses en posant une question qui demeure à chaque époque d’une totale actualité qui commande dans le monde ?

Il est évident que cette question aujourd’hui a pris toute sa mesure avec la mondialisation, est-ce que ce sont les États, les entreprises, les mafias, les citoyens.

En fonction de la réponse apportée à cette question, la vie quotidienne des citoyens, leur avenir en dépend de façon plus ou moins douloureuse puisqu’il faut apprécier chaque civilisation à l’aune des bienfaits et des malheurs qu’elle apporte à ses peuples.

Puisque tout est problème de proportion, la démocratie impose la prise en considération de la majorité puisque toute guerre de conquête s’est traduite par la volonté d’un homme, d’une caste ou de tout autre groupe d’imposer sa volonté à la majorité afin d’en tirer le plus grand profit, ce qui s’est le plus souvent traduit dans l’histoire de l’humanité par la mise en esclavage des vaincus par les vainqueurs.

Puisqu’il s’agit d’évoquer la dimension criminelle de la finance, il faut affirmer qu’elle a toujours existé depuis l’antiquité et, s’il fallait résumer son parcours à la date de ce jour, il faudrait considérer qu’elle a également connu trois étapes.

La première étape a consisté à financer les guerres, celles menées par les empereurs, les rois et les princes et permettre à ces banquiers de devenir ainsi des créanciers enrichis, non seulement par les vainqueurs dont ils sont les créanciers, mais également par les vaincus dont ils reçoivent indirectement le tribut.

L’histoire a montré que ces banquiers devenus les créanciers des princes encouraient tout de même le risque de ne jamais être remboursés, voire même d’être dépossédés de leur richesse puisque tel fut le sort qui fut réservé par Philippe le Bel aux Templiers, et ce, quelle que soit la présentation qu’il plut aux historiens d’offrir à de jeunes esprits.

Il faut faire remonter au XVe et au XVIe siècle en Angleterre et en Italie la montée en puissance de la finance, la création de la banque d’Angleterre n’avait pas d’autre but que le financement de la guerre menée par son roi, l’arraisonnement des galions espagnols emportant dans leur flanc l’or d’Amérique du Sud par des corsaires, notamment Drake le plus célèbre d’entre eux, n’avait pas d’autre but que la poursuite de cette guerre, non seulement sur mer mais également sur terre.

Il en fut ainsi de tous les banquiers, notamment italiens, les échanges commerciaux en Europe et en Asie devaient leur développement à l’émancipation de la banque, laquelle devenait la finance lorsqu’il s’agissait d’en tirer le plus grand profit par le service rendu aux vainqueurs.

Dans cette période qui va du XIIIe siècle au XVIIe siècle, il n’existe qu’une seule exception, la république aristocratique de Venise dont les institutions conféraient une certaine noblesse à la banque et au commerce après avoir apporté la démonstration de cet esprit d’entreprise qui conduisit les premiers vénitiens à construire leur ville sur une zone marécageuse en enfonçant des millions de pilotis de bois destinés à supporter leurs habitations puis de magnifiques palais.

Ce Génie d’entrepreneur allait également se manifester dans la construction de ses “galères subtiles”, lesquelles passèrent du statut de navires de guerre au statut de navires de commerce dont les rameurs devenaient, en cas d’agression, des soldats rendant les attaques, à leur encontre fort difficiles d’autant qu’elles naviguaient en groupe.

Le règne de la Sérénissime sur mer dans les échanges commerciaux avec l’Orient, mais également sur terre dans toute l’Europe du Nord, reposaient sur des institutions qui entendaient préserver la paix sociale en favorisant dans la ville même la création de chantiers ainsi que diverses activités industrielles.

S’agissant des institutions, rappelons qu’il existait à Venise des bouches de la vérité les « bocca della verità » dans lesquelles les citoyens pouvaient glisser des billets dénonçant des atteintes à l’ordre public, en encourant le risque qu’en cas de fausses dénonciations d’avoir à supporter la peine encourue par la personne présentée comme auteur de ces atteintes à l’ordre public vénitien.

La République de Venise n’allait pas pouvoir résister aux nouveaux flux commerciaux qui prenaient de plus en plus d’importance dans les échanges avec l’Amérique, ce qui allait contribuer à doter l’Angleterre de navires destinés à assurer non seulement le transport des marchandises, mais également à s’engager dans des guerres de course sur tous les océans.

C’est ainsi que dès le XVIIe siècle la réussite économique allait conférer à la City de Londres un statut de place financière privilégiée.

Mais c’est surtout, à la fin du XVIIIe siècle que la finance a pris un tout nouvel essor, tandis qu’en France la tentative de réforme monétaire menée par Law est demeurée dans l’histoire comme un échec financier.

Dans le même temps, les entreprises devaient occuper une place de plus en plus importante conduisant la finance à s’émanciper de la tutelle des princes jusqu’à prendre le contrôle de la vie économique en pesant sur les décisions politiques puisque c’est encore à Londres que dans les corridors du parlement le « lobbying » devait occuper une place qui allait devenir prépondérante supplantant même pour bien longtemps les faveurs octroyées par le monarque dans son antichambre.

Il ne faut pas oublier la méfiance de Napoléon à l’égard des financiers qu’il n’avait jamais souhaité anoblir.

Le XIXe siècle et le XXe siècle constituent une troisième étape qui consacre à la fois l’émancipation de la finance ainsi qu’un pouvoir réservé à ceux qui en assurent le contrôle.

L’ouvrage de Claudio Jannet, édité à la fin du XIXe siècle décrit parfaitement l’évolution de cette émancipation et le recours d’ores et déjà à des outils financiers dont la sophistication va s’accentuer au cours du XXe siècle afin d’échapper à tout contrôle et favoriser ainsi l’agiotage dénoncé au moment de la révolution française.

Mais ce que souligne surtout Claudio Jannet dans son ouvrage Le capital, la spéculation et la finance au XIXe siècle c’est la propension de la banque et des financiers à favoriser les sociétés anonymes parce qu’elles constituent des sources de profits en période de paix apparente bien supérieures aux activités bancaires traditionnelles.

Le rappel de ce qu’avait pu être l’entreprise, sa dimension humaine allait s’estomper avec la création de cette société anonyme que plusieurs décennies plus tard, l’économiste américain John Kenneth Galbraith allait lui-même dénoncer dans un petit opuscule Les mensonges de l’économie.

Non seulement l’entreprise allait dorénavant devenir la propriété de la personne morale, laquelle allait se réfugier dans l’anonymat aggravé par des prises de participation dont on ne connait pas l’identité de leur détenteur, la finance ayant favorisé l’émergence de la Fiducie et des Trusts renforçant ainsi cet anonymat…

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